Pour faire de bons Français, il faut de l’ordre, chanter « La Marseillaise » et un « grand plan contre l’infertilité ». Une conf de presse digne d’un plateau de CNews.
On était venus à l’Élysée en quête d’un bien énigmatique point-virgule présidentiel ; on en est ressortis avec des points de suspension (signifiant une sourde désapprobation…), d’interrogation (il a vraiment dit ça ?) et d’exclamation (n’importe quoi !), mais de point-virgule, point. Alors qu’il devait, ce point-virgule en forme de conférence de presse donnée ce mardi soir, symboliser le fameux « rendez-vous avec la Nation » décrété par Emmanuel Macron aux trois quarts de son règne. C’était sa vision, sa stratégie, le sens du récent remaniement : tout était contenu dans ce « point-virgule », que glissaient quelques zélés conseillers élyséens à la presse pour décrire « une nouvelle phase de conquête » (Libération) et une façon de « donner une respiration à sa décennie de pouvoir en changeant de ton comme on pourrait le faire dans une partition de musique ou dans une poésie » (Le Monde).
Et c’est ainsi que vos serviteurs se retrouvent dans la queue journalistique léchant l’Élysée ce mardi soir pour élucider cette affaire de point-virgule et enfin piper quelque chose à la politique du président de la République et à son nouveau gouvernement, à droite toute (lire l’épisode 8, « Macron dégaine son Attal bazooka »). Et là, tandis que les confrères et nous nous gelons sagement les miches (relevons que la guérite près de l’entrée est vide de tout gendarme mais équipée d’un radiateur – c’est bien – allumé – c’est pas bien), une Laurence Ferrari de CNews, Europe 1, Paris Match déboule, grillant magistralement toute la file pour rejoindre ses complices juste avant la porte du Château et ne poireauter que dix minutes dans la froidure.
Quand trois quarts d’heure et une hypothermie frôlée plus tard, nous entrons dans la salle des fêtes de l’Élysée où se tient la sauterie que suivront 8,7 millions de téléspectateurs sur huit chaînes, nous comprenons : l’empire Bolloré s’est installé en bonne place, pile face à l’estrade présidentielle. Au tout premier rang s’affichent ainsi Laurence Ferrari (donc), Sonia Mabrouk (Europe 1, CNews), Gauthier Le Bret (service politique de CNews, JDD), Thomas Bauder (directeur de l’information de CNews), Olivier Benkemoun (CNews, Europe 1), Florent Tardif (CNews, Paris Match). À raison de deux accréditations max par média, ils ont explosé les compteurs – et encore en ont-ils réclamé pas loin d’une vingtaine, nous chuchotent de mauvaises langues bien informées –, arguant qu’untel représentait Paris Match, l’autre CNews et celle-là Europe 1, même si tous turbinent alternativement voire simultanément dans la même armada bolloréenne.
Il faut se figurer la mise en scène. À droite du Président, sur quatre rangs, la presque totalité du nouveau gouvernement, avec Gabriel Attal au prems qui depuis huit jours qu’il est à Matignon a pris vingt ans et un sacré coup de pelle. À sa gauche, les cabinets d’Emmanuel Macron et du Premier ministre, avec le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler devant. Et face à lui, l’empire de Vincent Bolloré, qui compte déjà deux scalps ministériels à son actif : celui de Pap Ndiaye exfiltré en juillet dernier et celui de Rima Abdul Malak éjectée la semaine dernière, tous deux ayant en commun d’avoir été les seuls à critiquer les médias dudit Bolloré (lire l’épisode 9, « Rachida Dati à la Culture, ça Rima rien »). Côté Élysée, la mise en scène de cette conférence de presse évoque, et ce n’est bien sûr pas anodin, celles que tenait Charles de Gaulle, assis derrière un bureau, et en soirée. Si vous n’avez pas la ref, les plus vieux des téléspectateurs l’ont, eux, et ils votent, eux. Toujours pratique, l’invocation de De Gaulle pour faire passer pour de la nostalgie des vieux trucs puants, demandez à Éric Zemmour qui s’est déclaré candidat à la présidentielle de 2022 en parodiant l’appel du 18 juin (lire l’épisode 174 de L’empire, « Zemmour, le candidat du système Bolloré »).
20 h 15, le président de la République arrive, annoncé par quelque majordome élyséen ; l’immense majorité de la salle se lève, même s’il nous faut dénoncer, dans notre coin du moins, les fesses de Libération, de Paul Larrouturou de TF1 et des Jours qui n’ont pas quitté leurs sièges – on n’est pas à l’école hein, on est là pour travailler.
Macron a multiplié les allusions pour le premier rang, tenu par l’empire Bolloré, et pour celle dont il est le haut-parleur : l’extrême droite
Et zéro point-virgule dans le propos liminaire d’Emmanuel Macron qui, c’est rare, ne dépasse pas trop les vingt minutes qu’il s’était attribuées, ni les deux heures de questions-réponses ensuite. De toute façon, pour les détails, il renvoie au gouvernement et au discours de politique générale de Gabriel Attal, prévu à la fin du mois. Mais s’il faut filer la métaphore ponctuative, on a dénombré des caisses et des caisses de traits d’union entre Emmanuel Macron et le premier rang de son auditoire journalistique, celui de l’empire Bolloré, ainsi qu’avec celle dont il est le haut-parleur : l’extrême droite (ou à la rigueur la droite ciottiste). Ainsi, ce slogan piqué à Éric Zemmour qui l’a lui-même piqué à Éric Ciotti – mais dont Emmanuel Macron revendique l’antériorité, ce qui ne change rien à l’affaire : « Pour que la France reste la France. » Ce que cette France doit rester, le président de la République l’a dessiné, en une série d’annonces comme autant de « réarmements » – parce qu’un « rendez-vous avec la Nation » ne peut se faire qu’avec un vocabulaire militaire, semble-t-il.
Pan, pan, pan : réarmement civique. « Chaque génération de Français doit apprendre ce que la République veut dire – une histoire, des devoirs, des droits, une langue, un imaginaire, le sens profond du respect et de l’engagement –, et cela dès l’enfance, en renforçant le soutien et l’exigence vis-à-vis des parents, en reprenant aussi le contrôle de nos écrans », entame Emmanuel Macron, affirmant s’appuyer sur un rapport d’experts. Des « restrictions » voire des « interdictions » d’écrans pour les enfants dont on se demande bien comment elles pourront se matérialiser, mais peu importe, ça donne le ton de la petite chanson désuète des annonces présidentielles sur l’éducation. Lâchez TikTok, les enfants, et enfilez votre uniforme – ou plutôt votre « tenue unique » dont Emmanuel Macron confirme l’expérimentation, voire, si elle est concluante, la généralisation dès 2026 – pour aller en cours d’instruction civique dont le « volume horaire sera doublé – une heure par semaine dès la cinquième ». Et en seconde, hop, « la généralisation du Service national universel » pour nous pondre des générations d’excellents Français.
Les jeunes regardent des séries où il y a des remises de diplômes et trouvent ça super !
Emmanuel Macron, ambivalent sur la question des écrans pour notre belle jeunesse
On ne se ferait pas une petite Marseillaise là-dessus ? Allez, et ce dès l’école primaire, et puis du théâtre aussi et de l’histoire de l’art – ça, c’est pour l’emploi fictif de Rachida Dati au ministère de la Culture, laquelle Dati vient en toute décontraction, ce mercredi sur RTL, de se déclarer candidate à la mairie de Paris, montrant la considération qu’elle porte à son tremplin de portefeuille. Et pour parachever la photo sépia d’écoliers en blouse aux doigts tachés d’encre, notre bon Président René Coty Emmanuel Macron promet « une cérémonie de remise des diplômes » au collège et au lycée. Et gare à celles et ceux qui auraient l’audace de trouver ça « vieux jeu », comme la journaliste de 20 Minutes Rachel Garrat-Valcarcel lors de la séance des questions, le Président se récrie : « Les jeunes regardent des séries où il y a des remises de diplômes et trouvent ça super ! »
Pourvu qu’on ne leur enlève pas leurs écrans à ceux-là. En revanche, on devrait couper ceux du Président qui, manifestement, tournent en boucle sur CNews où il semble avoir puisé l’essentiel de ses annonces sur l’éducation. Pas assez cependant pour Laurence Ferrari, qui, fiche siglée CNews à la main, réclame : « Donnez-moi cinq mesures concrètes », comme si elle était en plateau – de fait, c’est à s’y méprendre.
Pan, pan, pan : « l’ordre ». Contre la drogue, qui touche « parfois même les villages », précise le président de la République – reprenant là, encore une fois, un refrain qui fait l’ordinaire des débats de CNews –, et contre l’islamisme radical. Et contre « l’oisiveté ». S’il reconnaît que la mort de Nahel M., le 27 juin dernier à Nanterre, tué par un policier, a pu être un « élément déclencheur », Emmanuel Macron met en effet les émeutes qui ont suivi sur le compte de « l’oisiveté » de jeunes qui « s’ennuyaient » faute de n’être plus à l’école – et des « écrans », bien sûr.
Pan, pan, pan : « le réarmement démographique ». En deux mesures. L’une bien nataliste consistant à remplacer le congé parental par un « congé de naissance », plus court, mais mieux rémunéré. L’autre étant un « grand plan contre l’infertilité », dont on voit mal à quoi il pourrait ressembler – l’interdiction des slips trop serrés pour ces messieurs ? Ou de la contraception, cette invention du diable, pour ces dames ? Ces dames qui goûteront à sa mesure le « regret », à peine concédé du bout des lèvres par Emmanuel Macron, sur son odieux soutien à Gérard Depardieu, tout juste « de ne pas avoir assez dit combien la parole des femmes qui sont victimes de ces violences est importante ».
Macron absout Amélie Oudéa-Castéra, invite discrètement Michel Sardou et tape sur le RN (pour de faux)
Pan, pan, pan, Michel Sardou. Oui, oui, Mimiche. C’est la réponse d’Emmanuel Macron à la piteuse rentrée de sa nouvelle ministre de l’Éducation nationale Amélie Oudéa-Castéra qui a mis sur le dos de ces feignasses d’enseignants du public toujours absents et jamais remplacés sa décision de coller ses enfants dans le privé, l’übercatholique collège Stanislas. Du bidon, ainsi que l’a montré Libération, mais non, bien sûr pour Emmanuel Macron qui a absous la ministre (« Elle a été maladroite, elle s’en est excusée, elle a bien fait ») et plaidé pour « les deux écoles » (« Ce sont des choix intimes, personnels »), en invoquant là « les grands auteurs », mais sans citer l’interprète de la chanson, Michel Sardou.
Pan, pan, pan, c’est aussi le bruit du poing d’Emmanuel Macron frappant son bureau pour scander son « agissons, faisons, bousculons », alors qu’il est interrogé sur sa stratégie vis-à-vis du Rassemblement national, « le parti de la colère facile », dit-il. Le président de la République affirme vouloir « s’attaquer à ce qui fait voter pour le RN », mais il ne fait que le prendre de vitesse : en témoigne, après sa loi immigration allègrement votée grâce à l’extrême droite, tout ce fameux « rendez-vous avec la Nation » qui louche vers le parti de Marine Le Pen. Calcul politique un rien voyant, à six mois des élections européennes où l’extrême droite est donnée en tête dans les sondages. Il était là, ce sibyllin point-virgule, mais il n’était rien de plus que le smiley 😉, vous savez, ce petit wink complice, avons-nous conclu au sortir de l’Élysée en nous enfonçant dans la nuit noire de la rue du Faubourg-Saint-Honoré où loge le palais présidentiel : un clin d’œil d’Emmanuel Macron bien appuyé à l’extrême droite.
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